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0154 La Vie du Bouddha : vol.1
La Vie du Bouddha : vol.1 / Page 154 (Color Image)

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doi: 10.20676/00000286
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152   LE CYCLE DU MAGADHA ET DE BÉNARÉS

des désirs et des plaisirs sensuels... et de leurs douloureuses contre-parties. Maître de cet univers matériel, dont la souveraineté est sa raison d'être, il veille à ce qu'il se reproduise sans cesse, seule façon qu'en ce bas monde les êtres et les choses aient de durer : et c'est pourquoi « Kâma, l'Amour, est son autre nom ». Mais comme c'est un axiome que tout ce qui naît doit périr et que ce monde est ainsi fait que chaque être ne se nourrit et ne subsiste qu'aux dépens des autres, il est également la Mort, et c'est pourquoi les textes bouddhiques l'appellent plus volontiers Mâra. Ne vous y trompez pas toutefois : puissance à la fois productrice et destructrice, s'il prend tour à tour les masques de l'Amour et de la Mort, c'est parce qu'il est l'Esprit de Vie, et c'est parce qu'il est l'Esprit de Vie qu'aux yeux du moine il devient l'Esprit du Mal. Tout cela lui vaut bien des aspects : du point de vue mythologique il est le souverain à long terme, mais néanmoins transitoire, d'un monde qui l'englobe et qu'il n'a pas créé (l'Inde ne connaît pas de créateur) ; en langage métaphysique, il est la tendance spinoziste de l'Être à persévérer dans son être ; dans l'humanité, il est le génie de l'espèce ; chez l'homme il est l'instinct naturel ; et c'est grâce à lui que, tout pesé et compensé, le monde continue ; mais par là même il est l'ennemi-né du moine qui vient jeter l'anathème au désir et à l'amour, et prétend découvrir le moyen d'échapper à la re-naissance ainsi qu'à 'la re-mort ; et c'est pourquoi les textes bouddhiques le flétrissent constamment de l'épithète de Pâpîyân (littéralement : le Pire), ou, comme disait notre Moyen Age, « le Malin ».

Notre intention n'est pas de nous constituer d'office l'avocat du diable ; c'est là un privilège qu'il vaut mieux laisser aux romanciers et aux poètes, et chaque printemps qui -passe ne s'en charge d'ailleurs que trop. Mais enfin il faut avouer que Mâra a ses raisons, et que la raison les connaît. Tout d'abord il peut invoquer le cas de légitime défense, puisque le Bodhisattva ne cesse de proclamer qu'il est venu « détruire son empire » et « vider son royaume ». Il trahirait sa fonction de suprême animateur de l'univers s'il ne tentait d'empêcher ce présomptueux ascète d'acquérir avec la Sambodhi le droit au Parinirvâna, autrement dit à la mort sans renaissance ; et quand il aura dû renoncer à le retenir en son pouvoir, il s'efforcera du moins, fidèle à son rôle, de le détourner de divulguer aux hommes le moyen de s'évader à sa suite. Certes nous voyons bien qu'en s'opposant ainsi au Maître il barre du même coup à l'humanité la voie du salut, tel que l'Inde le conçoit mais n'a-t-il pas lieu de penser, avec l'immense majorité d'entre nous, que la vie vaut la peine d'être vécue ? Après tout, ce qu'il revendique contre les objections de conscience de l'ascète, c'est le droit au bonheur, autant que ce mot a de sens ici-bas, le droit à l'action, à la propriété, à l'amour, au mariage, à la joie de se perpétuer dans des enfants qui, poursuivant notre tâche, seront ce que nous fûmes, feront ce que nous