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0151 La Vieille Route de l'Inde de Bactres à Taxila : vol.2
La Vieille Route de l'Inde de Bactres à Taxila : vol.2 / Page 151 (Color Image)

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doi: 10.20676/00000237
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LA DATE   317

Pour des Européens qui croient avoir hérité de la mentalité grecque et qui ont étudié le bouddhisme, la question ne paraît pas sans réponse. Dans les propos de son instructeur indigène, le Yavana a cru dès l'abord entendre-comme un écho des grandes écoles de philosophie hellénistiques, et notamment de celle « qui du sobre Épicure a fait un demi-dieu ». Tout comme celle du sage grec, la doctrine du moine indien, uniquement fondée sur l'expérience humaine, ne comporte ni révélation ni mystères, et fait la guerre aux superstitions. Tous deux reconnaissaient l'existence, hélas trop réelle, de la douleur humaine et sont intimement persuadés de l'inutilité des dieux. Tous deux enseignent aux hommes qu'ils ne peuvent devoir qu'à eux-mêmes leur libération du mal et sont d'accord pour faire d'une pratique judicieuse de la vertu la base première de leur thérapeutique morale. Si fort qu'ils se défendissent contre les visées métaphysiques, ils passaient, l'un comme l'autre, pour avoir deviné les causes premières et démonté par la pensée les rouages du mécanisme de l'univers. Jusqu'ici tout allait de cire : où les choses commençaient à se gâter aux oreilles du Grec, c'est quand il fallait bien aborder le problème du monachisme : car, bien que la règle instituée par le Buddha fut moins austère que celle d'autres ordres monastiques rivaux du sien, à commencer par les Jainas, la rigidité de ses prescriptions n'avait rien d'attirant pour le libre esprit d'un Grec amoureux de la vie, rien non plus de compatible avec la dignité ou même la sécurité d'un conquérant. — Qu'à cela ne tienne, répondait le moine : certes nul ne pouvait se dire un vrai disciple du Çâkya-muni à moins d'être un bhikshu dûment ordonné : mais la voie du salut n'était pas pour autant fermée aux laïques. Il leur suffisait de s'affilier à la Communauté en qualité de zélateur (upâsaka), ce qui n'exigeait d'eux aucune abjuration de leurs idées ou croyances antérieures, et ne les astreignait qu'à quelques libéralités et à la pratique des cinq premiers préceptes de la morale commune. A la vérité, le cruel plaisir de la chasse, l'adultère et l'alcoolisme leur devenaient interdits au même titre que le vol et le mensonge; mais il leur restait loisible de vivre en famille, de vaquer à leurs affaires, de manger à leurs heures, de se parer à leur guise et enfin d'aller au théâtre : d'où grand apaisement pour le Yavana. Mais cette première difficulté écartée, d'autres ne tardaient pas à naître au cours de la conversation. Certaines

provenaient simplement de l'obscurité des termes techniques couramment employés par le docteur indien. Comment, par exemple, un étranger aurait-il pu comprendre du premier coup que les « nom et forme » désignent l'individualité et que les « six domaines » signifient les cinq sens avec leur complément, le sens interne (manas) ? Ce nouvel obstacle surmonté (et un peu de bonne volonté en venait vite à bout), des objections plus graves, parce que portant cette fois sur le fond même

de la doctrine, surgissaierrt au fur et à mesure que se développait son exposé. Tout comme les modernes théosophes, le Yavana était prêt à croire en ce qu'il nous a appris à appeler métempsychose (c'est métensômatose qu'il eût fallu dire, car c'est l'âme qui est censée changer de corps) ; et il est, en effet, difficile d'imaginer une explication plus satisfaisante de l'inégalité des conditions des divers êtres vivants : aussi bien, la vision d'Er l'Arménien en fait foi, cette théorie a-t-elle un instant séduit l'imagination de Platon. Mais comment concilier avec la croyance en la transmigration des âmes selon les mérites ou démérites acquis au cours de leurs existences antérieures l'opinion que professaient en même temps les bouddhistes sur l'impermanence du moi personnel, agrégat non moins éphémère que le corps? Et comment appliquer à des individus déclarés à l'avance incapables de survivre des sanctions qui, par définition, ne pouvaient les atteindre qu'au cours de leur survie ? La logique grecque, non plus que la nôtre, ne trouvait son compte dans ces contradictions. De même, pour peu qu'il fût frotté de platonisme, le Yavana accordait volontiers que de deux pécheurs celui qui pèche par ignorance commet le pire péché : mais pouvait-on admettre en bonne justice que la dernière pensée du mourant, fût-il un scélérat, avait une influence